En préparant une visite sur le thème des métiers d’art, nous avons sorti des réserves un fascinant album d’échantillons, sans indication de provenance, comme une invitation à enquêter dans l’industrie du papier peint au XIXème siècle.

Dans un petit volume relié à la main, des bordures ou des papiers à motifs répétitifs présentent des fleurs, des rinceaux, des balustrades ou des encadrements. Ces élégants témoins de la décoration intérieure en 1840 racontent aussi la technique de l’impression du papier peint, qui se fait couleur par couleur à l’aide de bois gravés. On peut observer au verso le coup de planche. Pour obtenir du relief ou imiter le velours, on utilise des papiers gaufrés ou floqués. L’encre peut imiter l’or ou l’argent. Le choix des couleurs est parfois surprenant, avec de profonds contrastes. Si les compositions sont foisonnantes, le document dans son ensemble est « muet ». Il ne comporte aucune indication de provenance ou de datation. S’ouvre alors l’ébauche d’une enquête dans l’industrie du papier peint.

  • Bordure, scène de chasse

Album d’échantillons de papiers peints, vers 1840, RES ICO 5282

La notice du catalogue précise : « Maison Billot, vers 1840 ». Le nom rappelle les « albums Billot », bien connus des historiens du papier peint. Ces cinq répertoires d’échantillons de la manufacture Réveillon puis Jacquemart et Bénard, et Dufour et Leroy, permettent de dater leurs créations de 1770 à 1838. Ils portent la mention « Billot » et des marques « B » qui continuent d’interroger les spécialistes, comme le faisait Véronique de Bruignac-La Hougue dans le catalogue d’exposition du Musée du Papier peint de Rixheim (Papier peint et révolution,1989) : « Qui est ce Billot dont le nom figure sur la tranche des cinq volumes ? ». Ces marques sont apposées sur chaque échantillon dans l’album conservé au Cooper Hewitt Museum de New-York. Elles ne figurent pas sur notre document. Alors comment a-t-il été attribué à la « Maison Billot » ?

D’après notre inventaire, il a été acheté en 1982, probablement à la librairie Guénégaud. C’est en février de la même année que s’est tenue la vente Sotheby des « Papiers peints anciens de la collection de la maison Follot » à Monte-Carlo où ont été vendus les cinq albums Billot. Est-ce là que le libraire s’est fourni ? Le catalogue de la vente, à la page des « Albums Billot », est trop lacunaire pour l’affirmer avec certitude. Le lot n°275 annonce : « Album de frises, comprenant de nombreux motifs floqués. Vers 1840 », ce qui pourrait correspondre, mais sans mention de dimensions ou de numérotation, il est impossible d’en être sûr. Au crayon bleu sur la page de titre de notre document, la mention « 241 » pourrait-elle correspondre à un lot dans une autre vente de papiers peints ? La recherche mériterait d’être tentée.

Pour essayer d’en savoir plus, il faut revenir au document. Il s’agit d’une liasse reliée de 53 échantillons de papiers peints mesurant 22 x 29 cm. Chaque papier est numéroté au dos, à la main, de 3006 à 3118. Il y a donc 112 références manquantes. Ce document était destiné à répertorier les créations des ateliers ou à servir comme « album de voyageur », dans les mains d’un représentant de commerce chargé de la diffusion de la production, qui se faisait en France et à l’international, comme le raconte toujours Véronique de Bruignac-La Hougue dans Joseph Dufour, génie des papiers peints, 2016. C’est la fonction qu’on donne à des albums similaires de la manufacture Dufour et Leroy conservés au Musée des Arts Décoratifs (numéro d’inventaire 2011.62) ou au Musée du papier peint de Rixheim.

Mais c’est d’un album plus tardif, conservé au Musée des Arts Décoratifs, qu’il faut le rapprocher. Reçu en don en 2001 (numéro d’inventaire 2000.79.1), il a des dimensions quasi identiques : 24,5 x 30 cm. On y retrouve d’autres versions des mêmes motifs, comme des rinceaux, des lambrequins, une passementerie ou un damas. Il est attribué à la manufacture Lapeyre & Cie, qui prend la suite de Dufour et Leroy en 1837.

Dans notre document, on trouve aussi un échantillon qui correspond à un papier peint attribué à l’illustrateur Poterlet pour la manufacture Lapeyre & Cie en 1841 ou 42. Un autre renvoie à une balustrade dessinée par Wagner, établi à Paris, qui travailla, entre autres, pour Lapeyre & Cie.

Ce motif de Poterlet apparaît sur un papier peint de notre collection et sur l’album du MAD.
Cette balustrade apparaît sur un lé de papier-peint signé Wagner.

On se situe donc bien autour des années 1840, nous avons identifié quelques motifs, et pourtant le mystère reste entier : qu’est-ce qu’un « album Billot » et où sont passées les 112 références manquantes ?

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